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Tribune

Accord  historique et courageux sur l’avenir de la Calédonie 

L’Accord concernant l’avenir de la Calédonie, signé à Bougival (Yvelines) le 12 juillet 2025 ,est historique car il ouvre, de manière durable dans le temps, une page nouvelle et innovante dans le processus de décolonisation apaisée de la Nouvelle Calédonie, initié par les accords de Matignon (1988) et l’Accord de Nouméa (1998). Une démarche unique dans l’histoire coloniale de la France. Désormais les évolutions susceptibles d’intervenir dépendront uniquement, et démocratiquement, des électeurs calédoniens qui disposeront des moyens institutionnels nécessaires.

Accord  historique et courageux sur l’avenir de la Calédonie 
New Caledonia 3d Map

C’est un acte courageux et exemplaire accompli  par les responsables politiques calédoniens capables de privilégier l’intérêt de leur pays et de sa population au détriment de certains intérêts partisans de leur sensibilité politique. Un exemple dont les responsables politiques métropolitains feraient bien de s’inspirer. Pour autant personne n’a renoncé à ses convictions profondes en acceptant ce  compromis équitable dont l’évolution future dépendra de la seule population calédonienne.

Les indépendantistes (essentiellement Kanak) obtiennent un statut original d’Etat reconnu internationalement et une nationalité calédonienne. En contre partie, ils acceptent  un pouvoir institutionnel accru aux loyalistes (appellation locale des non-indépendantistes).

Les loyalistes consentent à cette souveraineté (dont le nom était tabou chez eux) mais obtiennent, en contre partie, qu’elle s’exerce dans le cadre de la République française ainsi que les moyens de maîtriser l’évolution future de cet Etat

Telle est la nature du compromis politique en démocratie que Michel Rocard, ancien Premier ministre et négociateur des accords de Matignon définissait dans son ouvrage « Faire la paix »(2021) 

          "La négociation c’est la paix, c'est-à-dire le contraire de la victoire qui  implique un vaincu. La qualité de la négociation tient au fait que les deux parties ont conscience du rapport de force et ne cherchent pas à le nier. Mais elle répond aussi à la capacité d’écouter l’autre (..) et de parvenir à un accord équilibré."

L’Accord repose sur cinq dispositions fondamentales.

  1. La Calédonie deviendra un Etat, reconnu  par la communauté internationale, exerçant souverainement ses relations internationales liées aux compétences exercées par l’Etat calédonien (donc pas de vote à l’ONU) et associé par la France aux  autres  négociations internationales.
  2. L’Etat calédonien crée une nationalité calédonienne, qui s’ajoutera obligatoirement à la nationalité française. Ceux qui renonceraient à la nationalité française perdraient de facto la nationalité calédonienne et donc leur droit de vote aux élections calédoniennes.
  3. La compétence législative du Congrès, qui se substitue  déjà à celle de l’ Assemblée nationale dans de nombreux domaines depuis 1998, est maintenue et étendue. Le Congrès passe à 56 membres (+2) et la répartition entre les provinces est modifiée : le Sud (loyaliste) aura 37 élus (+5) et les deux provinces indépendantistes (Nord et Iles) 19 élus (-3). Le Congrès pourra modifier son mode de scrutin, demander le  transfert à la Calédonie des compétences régaliennes ( Défense,   Sécurité, Justice, Monnaie) mais seulement avec une majorité de 36 voix qui nécessite un compromis entre communautés. De plus tout transfert d’une compétence régalienne sera soumis au vote de la population. En attendant ces transferts, la France associera davantage l’Etat de Calédonie à leur  fonctionnement.
  4. L’Etat de Calédonie élaborera, à partir de 2026, une Loi fondamentale (autrement dit une constitution) qui définira son organisation interne : choix des signes identitaires (nom, drapeau, hymne) ; appellation du Congrès (par ex. Assemblée législative) ; élaboration du code de la  nationalité ; répartition des compétences entre collectivités (provinces, communes) ; organisation et rôle des responsables coutumiers. La Loi  fondamentale  exigera une majorité  des 3/5 ème ,ce qui implique un compromis entre les partis politiques rivaux. Elle comportera une charte des valeurs calédoniennes (républicaines, kanak, océaniennes..) qui a déjà fait l’objet d’un accord local .Son élaboration associera la société civile et le Sénat coutumier
  5. Un pacte de refondation économique et financière sera conclu entre le Gouvernement et la Calédonie pour reconstruire le territoire qu’il s’agisse de la filière Nickel, de la réduction de la dette calédonienne, du redressement des comptes sociaux, de la réduction des inégalités entre communautés et du développement des politiques publiques en faveur de la jeunesse. Cet aspect, qui reste à préciser et à quantifier, est fondamental et urgent compte tenu de la situation dramatique de la Calédonie à la suite des émeutes de mai 2024. Le récent rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la Calédonie (  n°1653 du 1er juillet ) expose de manière précise et concrète les divers aspects de la souffrance qui règne sur tout le pays. La réalisation de cet accord (s’il est approuvé localement) ouvrira une période de paix et de stabilité propice à la reconstruction, qu’il s’agisse des investissements, du retour des médecins et du maintien de tous  ceux qui  perdaient espoir en l’avenir de la Calédonie. 

Dans le cadre de cet accord global et innovant, la question du corps électoral qui avait été utilisée pour expliquer colères et émeutes lorsqu’elle était traitée en particulier et de manière autoritaire par un gouvernement précédent, n’a pas fait de difficultés. Ainsi pour les prochaines élections provinciales-législatives reportées à juin 2026, obtiendront le droit de vote les personnes nées en Calédonie (environ 12500) et  celles qui justifieront de quinze ans de présence  (leur nombre n’est pas connu mais devrait être compris entre 5 et 10000 personnes).

Les habitants appelés  à se prononcer, en février 2026, sur l’accord seront ceux inscrits sur la liste électorale spéciale élaborée pour le premier référendum  de 2018, complétée de nouveaux électeurs qui seront précisés dans la révision constitutionnelle 

Ultérieurement, après 2026, lorsque la nationalité calédonienne sera déterminée  l’accord énumère les catégories qui auront le droit de vote et qui sont élargies, en particulier les résidents depuis dix ans et certains conjoints aujourd’hui privés de droit de vote. Il  est précisé que le renoncement à la nationalité française entrainera le renoncement à la nationalité calédonienne, ce qui privera les personnes concernées de droit de vote aux élections provinciales.

Concernant cet Accord le calendrier prévu est le suivant.

Dans l’immédiat, finaliser l’articulation juridique entre ces dispositions et celles qui  subsistent dans l’Accord de Nouméa .Un travail de spécialistes juridiques qui permettra une rédaction adéquate de la loi constitutionnelle qui modifiera le titre XIII de la Constitution consacré à la Calédonie.(voté en 1998 et 2007)

A l’automne 2025, présentation, discussion au Parlement et vote du texte constitutionnel  qui inscrira dans la Constitution française les innovations contenues dans l’Accord de Bougival.(sous la réserve que le Gouvernement actuel qui a  négocié  l’accord soit toujours en place)

En même temps, vote d’une loi organique repoussant la date des élections provinciales (législatives) à juin 2026.

Le Congrès actuel élu en mai 2019 devait être renouvelé en mai 2024. La situation politique locale étant incertaine, le Gouvernement de Gabriel Attal  avait  fait voter en février 2024 , sans difficulté, le report de ces élections à  fin 2024,  le Conseil d’Etat autorisant cependant  une date ultime  à décembre 2025 . Les émeutes de mai 2024, ont rendu nécessaire de s’en tenir à cette dernière date. Toutefois la reprise des discussions entre calédoniens, à l’initiative de François Bayrou, par Manuel Valls (assisté du conseiller spécial du Premier ministre, Eric Thiers) et la conclusion favorable qui en est résulté  rendent nécessaire un nouveau report qui ne devrait pas faire de problème.

En février 2026, les calédoniens devront se prononcer sur l’accord tel qu’il aura été  formalisé dans la Constitution. 

Ce vote n’est pas acquis d’avance. Dans  les deux communautés il existe des extrémistes radicaux qui n’acceptent aucun compromis et qui trouveront tous les motifs possibles pour s’opposer à l’accord. Les émeutes de mai 2024 traumatisent toujours tous ceux qui ont subi violences menaces et destructions. La légitimité des responsables politiques en place est affaiblie par leurs querelles internes. La signature d’un Accord historique annonciateur de paix et de stabilité est de nature à restaurer leur autorité et à convaincre une majorité de calédoniens. C’est dire qu’il faudra mettre en œuvre beaucoup de pédagogie et d’informations pour expliquer à la population l’importance de ce texte. D’autant plus qu’en Calédonie, les réseaux  dits sociaux sont largement utilisés alors qu’ils sont essentiellement   porteurs de fausses informations et surtout d’insultes racistes alors que les médias traditionnels n’ont pas l’audience suffisante. Espérons que les partenaires de l’Accord agissent en commun et que les partis métropolitains prennent exemple sur les responsables calédoniens qui ont privilégié l’intérêt de leur pays avant la défense de leur boutique partisane. Au regard de l’Histoire nationale le dossier calédonien en vaut la peine

En cas de vote positif, le Gouvernement présentera au Parlement le texte de la loi organique qui précisera , comme celle de 1999 , les modalités d’application des dispositions de l’Accord .Compte tenu du fonctionnement de l’Assemblée nationale et de la composition du Sénat, le vote de cette loi organique  statutaire, dont le contenu sera fondamental, sera délicat. En cas de changement de Gouvernement l’exercice sera périlleux voire impossible.

En effet   ce texte  comportera, précise le document des dispositions importantes. Ainsi  l’attribution d’un pouvoir fiscal aux provinces (qui n’existe pas aujourd’hui) leur permettant de  fixer l’assiette et le taux des impôts  ; les modalités de la nécessaire solidarité entre les différentes collectivités de Calédonie ; permettra à leur demande  de nouveaux transferts de compétences aux provinces, en particulier l’institution d’une police provinciale chargée de garantir la tranquillité publique, la salubrité, la sécurité des personnes et des biens ainsi que la protection de l’environnement. De même une police coutumière veillera au respect des règles de la coutume. En outre les autorités coutumières auront un rôle en matière de justice dans la prévention de la délinquance, la médiation et la réparation pénales. Si le nombre actuel  des membres des  assemblées provinciales n’est pas modifié, à l’avenir il tiendra compte de l’évolution démographique

On le voit  la mise en œuvre de cet Accord va nécessiter du temps, de la pédagogie, du courage et de la responsabilité en France et en Calédonie  compte tenu de la situation économique et sociale désastreuse de ce pays et de ses habitants, en particulier les plus démunis qui sont  nombreux dans les diverses communautés.

Depuis le départ du Premier ministre Edouard Philippe, le dossier calédonien, par nature interministériel,  a quitté Matignon privant  l’Etat, partenaire essentiel de ce dossier complexe  d’une bonne compréhension conduisant à une rupture du dialogue avec   tous les calédoniens  dont certains se sont radicalisés. Le retour de la Calédonie  à Matignon, sous l’autorité de François Bayrou , a permis   la reprise  du dialogue et l’examen  complet de ce dossier (y compris dans son aspect économique) par un ancien Premier ministre de filiation rocardienne, qui a su , soutenu par le conseiller spécial du Premier ministre actuel, reprendre la capacité d’écoute, de dialogue et d’innovation que les négociateurs de 1988 et 1998 avaient pratiqués ont montré leur efficacité. Le Président de la République n’a pu que reconnaître cette efficacité et s’y associer en recevant tous les acteurs à l’Elysée.  

Mais la mise en œuvre reste à faire  et ce sera le plus difficile comme l’a indiqué Manuel Valls. Elle exige la permanence des équipes qui ont su  concevoir cette  construction unique et novatrice car de nombreuses précisions importantes doivent figurer dans la future loi organique statutaire .Les innovations que comporte ce texte ne manqueront pas de susciter les réactions  réservées, voire hostiles, de tous ceux qui sont habitués aux formules toutes faites. A  ceux là je rappellerai la belle formule de Charles Péguy ( auteur préféré de F.Bayrou et de son conseiller spécial E.Thiers) : "Il y a quelque chose de pire  que d’avoir une mauvaise pensée .C’est d’avoir une pensée toute faite" .Elle se trouve dans le  dernier ouvrage de l’écrivain (Note conjointe sur Descartes  …) inachevé  à la date du 1er août 1914 quelques jours avant sa mort héroïque .Souhaitons que cet accord ne subisse pas le même sort.

 

 

 

Publié le 17/07/2025

L'auteur

René Dosière

René Dosière

Président - Député honoraire